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4 octobre 2010 1 04 /10 /octobre /2010 11:11

Le Bronzé, c'est  lui : le Cuivré commun, Lycaena phlaeas :

 

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   Le plaisir de l'observation d'un animal ne serait rien  sans son identification, et il est étrange de constater combien nous sommes peu capable de nous satisfaire de la contemplation pure  des formes, des couleurs et des mouvements ; il nous faut joindre , Augustin d' Hippone l'avait déjà observé, à la libido sentendi la libido sciendi, le plaisir de savoir, par lequel les naturalistes satisfont, sous une forme forme pacifique et respectueuse, leur libido dominandi.

  Donc, tenant un papillon, il nous faut, renouvelant la clameur inaugurale du vieil Adam, lui attribuer un nom, que l'on recherche fébrilement dans les guides lorsqu'on est encore potache au Lycée papillon.

    C'est Buffon qui imposa l'usage de la nomenclature pour désigner sans ambiguïté un ensemble fini d'objet dans le cadre d'une science, alors que dans la Rome antique, le nomenclator était l'esclave qui clamait les noms des plats que l'on servait, ou, tel l'huissier "habillé de noir comme un bourreau" de la Princesse de Guermantes,annonçait les personnes qui rentraient.

  ( On se souvient de l'embarras du héros de Marcel Proust : " L'huissier me demanda mon nom, je le lui dis aussi machinalement que le condamné à mort se laisse attacher au billot. Il leva aussitôt majestueusement la tête et avant que j'eussepu le prier de m'annoncer à mi-voix pour ménager mon amour-propre si je n'étais pas invité, et celui de la Princesse de Guermantes si je l'étais, il hurla les syllabes inquiétantes avec une force capable d'ébranler la voûte de l'hotel. "A la Recherche du Temps Perdu, Sodome et Gomorhe )

 

  Et bien ce n'est pas le moindre de nos plaisirs de naturaliste que de jouer -in petto- à l'aboyeur  et de "hurler" le nom vernaculaire et le nom bi-nominal de l'individu ailé que nous tenons au bout de nos jumelles, de notre objectif ou dans le repli de tulle de notre filet.

 

Tel le hérault d'armes qui, possédant à fond son armorial, sait dire à son Seigneur l'identité d'un chevalier, son rang, et sa maison par l'observation de son écu, de sa bannière et de ses pennons , il nous faut blasonner les ailes de notre specimen jusqu'à pouvoir crier comme une Eureka : " Cuivré commun!"

 

   Et c'est précisément là que tout s'effondre : commun, notre beau bronzé ! Commun,celui que toute l'onomastique lépidoptériste s'accorde à placer sous le triple portique du Loup fauve ( lycaena : de lycos, le loup ), du Métal (en français le cuivré, en anglais small copper, en italien argo bronzeo ) et du Feu (phlaeas viendrait du grec phlego, enflammer, qui donne aussi phlegme -humeur issue de l'inflammation- et phlégmon - collection de phlégme-, son nom allemand feuerfalter signifie papillon du feu, le nom néerlandais vuurvlinder associe aussi vuur, le feu et vlinder le papillon ) !

  Commun,comme l'Azuré commun ou le  Fadet commun  qui se sont vu aussi affligés de ce qualificatif blasé qui en rabat tant sur la fierté et le bonheur de notre découverte qu' aussitôt l'émerveillement s'émousse !  Ah, non! Il aurait fallu la verve d'un Cyrano, les adjectifs dithyrambiques, le feu, la flamme, le panache, le cri admiratif , l'emphase !

  On eut pu, là, tout de go, le comparer en superlatif , non pas même à Rabbi Yo'hanan, mais à sa soeur !

             Ah, vous n'avez pas lu le Baba-Metsia, ce récit talmudique qui raconte la vie de Rabbi Yo'hanan Bar Narphela ?

Cet amora, interprète vénéré qui a contribué au Talmud, vivait au troisième siècle. Il était jeune il sentait peut-être le sable chaud mais en tout cas  il était si beau qu'il se vantait d' être "un reste des spendeurs de Jérusalem", et si son nom ne figure pas dans la liste des cent plus beaux rabbi , c'est que cette liste ne mentionne que les barbus. Lui, il était parfaitement imberbe, si imberbe qu'alors qu'il se baignait dans le Jourdain, Rech Lakish, qui n'était pas encore le docteur dont les sentences émaillent le Talmud de Jérusalem et celui de Babylone, mais un vil gladiateur, plongea pour le rejoindre en croyant pouvoir conquérir une jolie jeune fille. Est-ce pour le repousser que Yo'hanan lui déclara qu'il avait une soeur encore plus belle que lui et que Rech Lakish pourrait l'épouser pour peu qu'il veuille bien renoncer aux armes et consacrer ses forces à l'étude de la Torah ?

 

   Vous lirez ailleurs comment ces beau-frères se fâchèrent, comment Rech Lakish mourut et comment Yo'hanan se consumma de chagrin pour ne plus rencontrer, face à se opinions, que vingt-quatre louanges à la place des vingt-quatre objections que lui opposait Lakish, exigeant vingt-quatre réponses !

Là n'est pas mon propos, mais de citer Baba-Metsia 34 : "Si on veut contempler une beauté comparable à celle de rabbi Yo'hanan, qu'on prenne un gobelet d'argent à peine sorti des mains d'un orfèvre, qu'on le remplisse des grains d'une grenade rouge, qu'on l'orne de roses rouges et qu'on le pose entre ombre et soleil , et vous n'aurez encore qu'un simple reflet de la beauté de Rabbi Yo'hanan !"

    Voilà comment on aurait pu décrire la beauté de Lycaena phleas plutôt que de le qualifier de "commun".

 

 

 

 

A ses cotés volait aussi le Cuivré fuligineux, Lycaena tityrus, Poda 1761.

  Il s'agit de la femelle. Eh bien, que faut-il ajouter au gobelet d'argent, aux grains de grenade rouge, aux roses rouges et au vermeil des jeux du soleil pour l'égaler ?

 

A une époque où on savait son Virgile par coeur, un savant déjà émerveillé sans-doute par l'Amaryllis (grec amaryssein: resplendir) a baptisé notre fuligineux du doux nom du chevrier joueur de flûte de la première églogue des Bucoliques : Tityre.

      " Melebeus:

                        Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi

                        silvestrem tenui Musam meditaris avena

                        nos patriae finis et dulcia linquimus arua;

                        nos patriam fugimus ; tu, Tityre, lentus in ombra

                        formosam resonare doces Amaryllida siluas. "

 

  ( Couché sous le vaste feuillage de ce hêtre, tu essayes, ô Tityre, un air champêtre sur tes legers pipeaux. et nous, chassés du pays de nos pères, nous quittons les douces campagnes, nous fuyons la patrie. Toi, Tityre, étendu sous de fraisombrages, tu apprends aux échos de ce boisà redire le nom de la belle Amaryllis. Trad M.Nisard, 1850.)

 

Ce qui est interessant, c'est que les Bucoliques ont pour cadre l' Arcadie, province grecque quasi-mythique, dont Tityre et Mélibée sont deux bergers.

  Or on lit dans l'article consacré à Lycaena phlaeas dans Butterflies of British Columbia de Crispin Spencer Guppy, à propos de l'étymologie de lycaena : " the name lycaena is most likely derived from the greek Lucaios (Arcadian) , as several of the species names are those of Arcadian shepherds (Emmett 1991) "

 

Le Mont Lykaion est le plus haut sommet d'Arcadie, et c'est sur ses pentes qu'un culte était rendu à Zeus Lukaios, culte décrit par Platon en République 565D-e. Les Lykaïa étaient des fètes archaïques où des éphèbes subissaient des rites de passage incluant le cannibalisme. 

   Mais depuis Théocrite (280 av J.C) et surtout Ovide et Virgile, l'Arcadie n' évoque pas le déchainement de sauvageries et de scénes de loup-garou, mais un lieu primitif et idyllique peuplé de bergers, et un Age d'or , un monde pastoral d'union avec la nature et de démocratie. Le Mythe acadien joua un rôle majeur à la Renaissance,  au siècle des Lumières et jusqu'à nos jours.

    Il est donc légitime de penser que les savants qui ont baptisé nos papillons, très shématiquement entre 1750 et 1850 ont été inspirés par ce mythe et les noms propres, de lieu, de personne ou de figure légendaire, comme ils ont puisé aussi dans la mythologie gréco-latine. Fabricius, qui a créé le genre lycaena, publiait en latin.

 

 

 

 

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Il y avait encore l'Argus bleu, Polyommatus icarus, ci-devant azuré commun : bof, que c'est banal !

 

 

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Et puis, dans la même prairie, cette chenille oursonne (d'écaille ?)

 

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Et aussi cette sauterelle, que j'ai emmené voir la vue du haut du Four à Chaux de l'Aber : elle a crié "Banzaï" et elle a sauté !

 

 

 

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Enfin les cuivrés, l'argus, la sauterelle, la chenille et le grillon des bois  avaient ce compagnon au teint rouillé :

 

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • jean-yves cordier
  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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